Ma manière de dessiner
Read this in EnglishMes dessins ont l’air d’avoir été faits en roue libre, comme sur un coup de tête, mais même les dessins les plus simples nécessitent une étape de préparation et de planification. La plupart du temps j’ai besoin de faire un brouillon pour déterminer comment les personnages se tiennent, quelle tête ils font, comment je les agence sur la page.
Une série de dessins requiert encore plus de planification, et il faut penser à plusieurs questions en même temps, ce qui fait en partie l’intérêt de ce travail : la méthode et le medium du dessin conviennent-ils à l’atmosphère du livre ? Quel dessin va sur quelle page ? Les actions se poursuivent-elles d’une image à l’autre ? Les personnages gardent-ils la même apparence sur toutes les pages ? Afin que le dessin puisse bénéficier de cette phase de préparation tout en conservant un air de spontanéité, j’ai essayé de nombreuses techniques, dont la plus efficace selon moi, celle que j’utilise depuis une trentaine d’années, est la technique de la boîte lumineuse.
Je pose sur la boîte lumineuse le brouillon à partir duquel je vais travailler, et par-dessus je mets une feuille de papier aquarelle, en général du Canson ou de l’Arches fin. A côté de la boîte je dispose une bouteille d’encre noire indélébile et tout un assortiment de plumes plus ou moins en bon état. Pour faire simple, ce sont des porte-plumes à deux entrées d’une marque allemande, Brause, avec une plume flexible qui accroche bien le papier, ou une plume de la série J, qui est plus large et plus dure. Ou alors il se peut que j’aie d’autres types de plumes, ou bien un pinceau ou une plume de roseau, en fonction du dessin.
Je ne retrace pas mon brouillon ; d’ailleurs il est très important que je ne puisse pas bien le voir, car quand je dessine, j’essaie de le faire comme si c’était la première fois, mais cette technique me permet d’être plus concentré, car grâce au dessin du dessous je peux savoir quels éléments doivent apparaître et exactement où ils doivent être placés. Normalement je commence avec la partie la plus difficile du dessin : une expression particulière, un geste ou une manière de se tenir. De cette manière, si je ne réussis pas bien à la dessiner, je n’ai pas besoin de tout refaire. Ainsi il n’est pas rare que je me trouve, à la fin d’une séance de travail, entouré de coûteuses feuilles de papier aquarelle, avec au centre de chacune d’entre elles, un petit visage qui n’a pas tout à fait la bonne expression.
Il m’arrive de devoir m’arrêter et reprendre à plusieurs autres stades du processus: par exemple, il se peut que le dessin soit fini mais non coloré, ou bien même complètement terminé, avant que je ne décide qu’il lui manque une atmosphère que l’on trouvait dans le brouillon, ou bien que la qualité du trait ou la couleur n’est pas en adéquation avec l’esprit du livre. Et quelquefois je fais deux ou trois versions à la recherche d’une perfection inatteignable. C’est ce que l’on appelle la névrose de l’artiste, et une fois le dessin terminé je ne sais jamais pourquoi j’ai fait ce choix-là, ni même si c’était le bon.